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Écriture inclusive et lisibilité

« Iel », « illes », « auteurices »,  « français·e » : Si vous traînez un peu sur Twitter ou si vous suivez des communautés féministes sur internet, vous avez peut-être croisé une forme d’écriture qui peut sembler compliquée à lire : certains mots sont coupés en deux, greffés entre eux, d’autres sont inventés. Diantre, mais qu’est-ce que ceci ?

Cette nouvelle manière d’écrire le français est le résultat d’une réflexion dans le but de corriger une erreur qui se perpétue depuis plusieurs siècles, le fait que, pour simplifier c’est « le masculin qui l’emporte ». Cette habitude, prise à une époque où l’écriture était dictée avant tout par des hommes, reste l’écho d’une certaine vision de la société et de la place de chaque genre social publique, à savoir les hommes et les femmes.

En 2016, il est temps de changer les choses. Les personnes proches des sujets sociaux et politiques que sont les féminismes et la diversité des genres ont décidé de s’approprier la langue écrite pour se sentir mieux représentées. Étant donné que ce n’est qu’une pratique qui ne semble par encore répandue dans la population pour le moment, nous pensons qu’il s’agit du bon timing pour ensemble cogiter aux bonnes pratiques à adopter en ce qui concerne son usage, en particulier du point de vue qui nous intéresse sur ce site, à savoir le design, et à fortiori l’expérience de lecture et la facilitation de son adoption.

Les raisons de vouloir changer la manière dont nous écrivons le français pour une orthographe plus inclusive sont multiples, et pour plus d’informations je vous renvoie à l’article de Simonæ à ce sujet.

À chacun son usage

Si un consensus émerge pour le pronom neutre iel et iels, ou pour féminiser tous les adjectifs et noms, même invariables, tels que professeure ou auteure (bien que certain’e’s préfèrent l’alternative auteurice, dont la distinction avec le masculin s’entend à l’oreille), il y a pour moi un problème qui n’est pas encore réglé : l’écriture des adjectifs et mots qui sont découpés pour contenir le féminin et le masculin simultanément.

Chez Simonæ par exemple le choix s’est porté pour le point médiant « locuteur·ice français·e », Chez Madmoizelle on lui préfère la puce, un peu plus visible et marquée : « locuteur•ice français•e ». On rencontre énormément l’usage du simple point : « locuteur.ice françai.se », ainsi que le tiret, « locuteur-ice français-e » également.

Je trouve personnellement incroyable la manière qu’ont les individus, face à une problématique commune, de trouver des solutions différentes. C’est beau.

À titre personnel, j’ai envie de vous proposer une solution encore alternative, dont je vais vous présenter les arguments.

Cette solution, c’est l’apostrophe : « locuteur’ice français’e ».

Quel est le problème ?

Le point médian

Le point médian a pour avantage d’être au niveau de la ligne de base, c’est à dire centré verticalement avec les bas de casses (minuscules), et donc ne se confond pas avec un signe préexistant et crée harmonieusement une cohésion visuelle du mot, sans trou en son milieu : « Harmonieux·se ». On voit bien de quelle façon le fait que le point médian soit centré et étroit aide à la lecture, accompagne l’oeil.

Le problème majeur que je vois avec l’usage du point médian et de sa variante bold, la puce, c’est le fait qu’il est impossible de le taper sur le clavier sans passer par un code peu intuitif : Alt+0183 pour le point médian, et Alt+7  pour la puce (c’est déjà un peu mieux). Sur des claviers de PC sous GNU/Linux ou des configurations Bépo, le point médian est accesible en faisant AltGr+Maj+. ce qui revient à le rapporter à un symbole alternatif au point. C’est encore mieux, mais le Bépo et Linux restent très marginaux et le resteront probablement encore pour un moment.

Le problème avec cette solution, c’est que si il est déjà suffisamment compliqué pour les usager’e’s de la langue française de se remettre en cause pour chercher par eux-même des solutions. Sans prendre la majorité de la population pour des abrutis, il est vrai qu’un changement des mentalités arriverait plus rapidement si l’outil du changement venait jusqu’à elleux, plutôt que de leur demander d’aller chercher l’info tout en bas d’une page Wikipédia, information qu’iels oublieront dès le lendemain matin. 

On pourra me rétorquer que sur les interfaces numériques, comme le clavier iPhone et Android, il serait facile de passer le point médian dans les signes typographiques faciles d’accès : ce que à quoi je répondrai que même si tout les développeurs faisaient cet effort, cela prendrait du temps pour que tout le monde se mette d’accord. Mais ça reste une solution, en effet, et je pense que dans un monde où le point médian serait disponible facilement sur tous les claviers, il serait la solution idéale. En attendant, il faut trouver autre chose.

Enfin, on m’a précisé qu’avec certains logiciels (pour windows il y a WinCompose & FreeCompose) il était possible d’accéder à un raccourci simplifié. Mais ce n’est toujours pas une solution durable d’après moi.

Le point

Vient ensuite la solution du point classique « . », qui a pour avantage d’être accessible pour tout le monde. Et c’est là que vient s’ajouter la problématique du sens des signes pré-existants. En plus du fait qu’il n’aide plus du tout à la lecture, on aurait carrément tendance à confondre l’usage du point en tant que marqueur de fin de phrase et comme marqueur d’inclusivité d’un mot : « Enchanté.e très cher.e, vous êtes la.e bienvenu.e ici.« .

Seul la majuscule pourrait encore permettre de distinguer les usages, mais imaginez si on rajoute des noms propres à l’équation : on comprend vite que ça peut devenir le bazar.

Pour terminer, le point est un obstacle aux synthèses vocales qui n’ont pas intégré l’écriture inclusive dans leur code. Il devient très difficile pour un’e malvoyant’e d’écouter les articles écrits de façon inclusive, et c’est bien dommage.

Le tiret, le slash et la barre verticale

Si le tiret a pour particularité d’avoir déjà comme fonction de coller et séparer des mots, et il semble être un candidat tout désigné pour servir de jointure entre les suffixes masculins et féminins des mots. C’est d’ailleurs pour moi ma solution préférée après le point médian l’apostrophe.

Le souci du tiret vient dans la largeur qu’il prend, et de fait de sa propension à être trop visible« Enchanté-e très cher-e, vous êtes la-e bienvenu-e ici.« . ça commence à faire des phrases longues, et ça ralentit fortement le rythme de lecture. De la même manière, « Enchanté/e » et « Enchanté|e » sont des solutions qui prennent énormément de place visuellement, et on perd énormément en qualité de lecture.

Il nous faudrait donc un signe disponible sur tous les claviers AZERTY, qui ne se confonde pas avec un signe marquant un arrêt et qui ne prenne pas de place visuellement ni en hauteur ni en largeur. Mh…

L’option apostrophe

Reprenons. L’apostrophe se place comme un candidat qui complète toutes les conditions requises pour servir de symbole visuel pour différencier suffixe masculin et féminin :

  • Elle est déjà utilisée comme liant à l’intérieur de mots
  • Elle ne peut pas se confondre avec le symbole de l’arrêt d’une phrase, comme le point et le point médian
  • Elle est peu utilisée de manière générale, et peut donc remplir cette fonction supplémentaire sans boucher la vision
  • Elle ne prend pas de place visuelle, ni en largeur, ni en hauteur, tout en restant visible du fait de sa position haute, particulièrement en bas de casse

Deplus :

  • D’une certaine façon, l’apostrophe peut être confondue avec les accents aiguës et graves, qui sont le symbole d’une alternative d’une lettre et parfois d’une prononciation. Mission identique que la notre, mais pour le genre social, dans notre cas.
  • Visuellement elle représente également un slash sous forme d’exposant, donnant une impression de choix, plutôt que de continuité, sans pour autant casser le mot en deux

Notons cependant que ce ne semble pas être la meilleure solution pour les personnes dyslexiques. J’ai eu quelques retours ayant suivi la publication de cet article me précisant que l’apostrophe avait tendance à trop couper les mots. Quel est votre avis là dessus ?

Ce qui nous donne donc : « Enchanté’e très cher’e, vous êtes la’e bienvenu’e ici.« , ce qui reste à mon avis moins joli que le point médian, mais la solution la plus efficace parmi ce qui est disponible aujourd’hui sur notre clavier. C’est donc de cette manière que j’écrirais, à titre personnel, sur Twitter et dans mes conversations en ligne. Pour ce qui est de l’écriture sur le blog, la question se pose encore de mon côté.

Pour finir

Ce que je vous présente ici n’est l’oeuvre que de ma réflexion personnelle que je vous soumets, et j’espère que nous pourrons ensemble travailler à rendre l’écriture inclusive la plus populaire possible ; et qui sait, faire rentrer un jour ces nouvelles orthographes dans le dictionnaire et les faire valider par l’Académie Française ? Après tout, ces deux dernières entitées ne sont là que pour consigner l’usage en court, et il n’est pas question pour elleux de dicter des règles. C’est donc à nous, en tant qu’usagers et usagères de la langue française, de nous y mettre.

D’autres solutions n’ont pas été abordées ici, comme le fait placer les lettres marquant le féminin en haut de casse (« EnchantéE très cherE, vous êtes leA bienvenuE ici »), mais cette solution me semble très compliquée du point de vue de la lecture et assez inesthétique.

À vous, cher’e’s lecteur’ices, d’adopter l’écriture inclusive à votre manière, d’inventer de nouvelles versions, d’être créatif’ves. Après tout, sans vous, le changement ne peut pas arriver.

 

Pour aller plus loin

Féminisation de la langue: quelques réflexions théoriques et pratiques 
L’écriture non-sexite, Simonæ
Écriture inclusie, Wikipédia
L’agence Mots-Clés sur l’usage du point médian/milieu